[ Pobierz całość w formacie PDF ]

quitte. Donc Mosaïde, maniant son stylet, tirait de sa gorge des sons rauques qui alternaient avec des
glapissements aigus, de sorte que j'étais injurié et vitupéré en manière de chant ou de cantilène. Et sans me
flatter, mon fils, je puis dire que je fus traité de paillard et de suborneur sur un ton solennel et cérémonieux.
Quand ce Mosaïde fut au bout de ses imprécations, je m'étudiai à lui faire une riposte bilingue, comme
l'attaque. Je lui répondis en latin et en français qu'il était homicide et sacrilège, ayant égorgé des petits enfants
et poignardé des hosties consacrées. Le vent frais du matin, en glissant sur mes jambes, me rappelait que
j'étais en chemise. J'en éprouvai quelque embarras, car il est évident, mon fils, qu'un homme qui n'a point de
culotte est en mauvais état pour faire paraître les sacrées vérités, confondre l'erreur et poursuivre le crime.
Toutefois, je lui fis des tableaux effroyables de ses attentats et le menaçai de la justice divine et de la justice
humaine.
 Quoi! mon bon maître m'écriai-je, ce Mosaïde, qui a une si jolie nièce, égorgea des nouveau-nés et
poignarda des hosties?
 Je n'en sais rien, me répondit M. Jérôme Coignard, et n'en puis rien savoir. Mais ces crimes lui
appartiennent, étant ceux de sa race, et je puis les lui donner sans injure. Je poursuivais sur ce mécréant une
longue suite d'aïeux scélérats. Car vous n'ignorez point ce qu'on dit des juifs et de leurs rites abominables. Il y
a dans la vieille cosmographie de Münster une figure représentant des juifs mutilant un enfant, et ils y sont
reconnaissables à la roue ou rouelle de drap qu'ils portent sur leurs vêtements, en signe d'infamie. Je ne crois
La rotisserie de la Reine Pedauque 52
La rotisserie de la Reine Pedauque
pas pourtant que ce soit chez eux un usage domestique et quotidien. Je doute aussi que tous ces israélites
soient si portés à outrager les saintes espèces. Les en accuser, c'est les croire pénétrés aussi profondément que
nous de la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Car on ne conçoit pas le sacrilège sans la foi, et le juif qui
poignarda la sainte hostie rendit par cela même un sincère hommage à la vérité de la transsubstantiation. Ce
sont là, mon fils, des fables qu'il faut laisser aux ignorants, et, si je les jetai à la face de cet horrible Mosaïde,
ce fut moins par les conseils d'une saine critique que par les impérieuses suggestions du ressentiment et de la
colère.
 Ah! monsieur, lui dis-je, vous pouviez vous contenter de lui reprocher le Portugais qu'il a tué par jalousie,
car c'est là un meurtre véritable.
 Quoi! s'écria mon bon maître; Mosaïde a tué un chrétien. Nous avons en lui, Tournebroche, un voisin
dangereux. Mais vous tirerez de cette aventure les conclusions que j'en tire moi-même. Il est certain que sa
nièce est la bonne amie de M. d'Astarac, dont elle quittait assurément la chambre quand je la rencontrai dans
l'escalier.
 J'ai trop de religion pour ne pas regretter qu'une si aimable personne sorte de la race qui a crucifié
Jésus-Christ. Hélas! n'en doutez pas, mon fils, ce vilain Mardochée est l'oncle d'une Esther qui n'a point
besoin de macérer six mois dans la myrrhe pour être digne du lit d'un roi. Le vieux corbeau spagyrique n'est
point ce qui convient à une telle beauté, et je me sens enclin à m'intéresser à elle.
 Il faut que Mosaïde la cache bien secrètement, car, si elle se montrait un jour au cours ou à la comédie, elle
aurait le lendemain tout le monde à ses pieds. Ne souhaitez-vous point la voir, Tournebroche?
Je répondis que je le souhaitais vivement, et nous nous renfonçâmes tous deux dans notre grec.
Ce soir-là, nous trouvant, mon bon maître et moi, dans la rue du Bac, comme il faisait chaud, M. Jérôme
Coignard me dit:
 Jacques Tournebroche, mon fils, ne vous plairait-il point tirer à gauche, dans la rue de Grenelle, à la
recherche d'un cabaret? Encore nous faut-il chercher un hôte qui vende du vin à deux sous le pot. Car je suis
démuni d'argent et je pense, mon fils, que vous n'êtes pas mieux pourvu que moi, par l'injure de M. d'Astarac,
qui fait peut-être de l'or, mais qui n'en donne point à ses secrétaires et domestiques, ainsi qu'il apparaît par
votre exemple et le mien. L'état où il nous laisse est lamentable. Je n'ai pas un sou vaillant dans ma poche, et
je vois qu'il faudra que je remédie par industrie et ruse à ce grand mal. Il est beau de supporter la pauvreté
d'une âme égale, comme Épictète, qui y acquit une gloire impérissable. Mais c'est un exercice dont je suis las,
et qui m'est devenu fastidieux par l'accoutumance. Je sens qu'il est temps que je change de vertu et que je
m'instruise à posséder des richesses sans qu'elles me possèdent, ce qui est l'état le plus noble où se puisse
hausser l'âme d'un philosophe. Je veux bientôt faire quelque gain, afin de montrer que ma sagesse ne se
dément pas même dans la prospérité. J'en cherche les moyens, et tu m'y vois songer, Tournebroche. [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

  • zanotowane.pl
  • doc.pisz.pl
  • pdf.pisz.pl
  • szopcia.htw.pl